Ann Claeys et Saloua Berdai Chaouni
Suite à la triste mort de cinq amis dans un immeuble d’appartements de service à Anvers, nous avons entendu plusieurs experts et décideurs sur ce qu’il fallait faire concernant les appartements de service et des centres de soins pour bénéficiaires internes.
Nous n’avons pourtant pas entendue la voix des personnes âgées qui habitent ces appartements. Nous n’entendons presque jamais leur voix, parce qu’on leur demande rarement leur avis, leur vision, leur souhait, leur expérience, leur histoire.

En parlant d’appartements de service et de centres de soins résidentiels, nous ignorons le fait qu’ils sont habités par des individus avec toute une vie derrière eux, peut-être une vie remplie et passionnante, par des individus avec beaucoup d’expérience, peut-être aussi avec de grands sentiments de solitude dans les semaines passées récentes.
De plus, les poussées d’agisme, de racisme et de validisme ont été très douloureuses: même dans la crise actuelle, les personnes âgées, les aidants proches et les personnes atteintes de démence, quelle que soit leur origine, ne sont pas suffisamment perçues comme les êtres humains qu’elles sont, avec les besoins qu’elles ont.
Qu’est-ce que cela signifie pour une personne âgée de se rendre compte que maintenant plus qu’avant, ils pouvent devenir un dilemme éthique pour les autres (médecins, infirmières, famille,…)? Qu’il vaut mieux ne pas tomber malade, parce qu’on préfère ne pas vous voir arriver dans les hôpitaux en ce moment, avec ou sans planification anticipée des soins ? Cela expliquerait-il la baisse des chiffres pour les autres problèmes médicaux dans les urgences ?
Une autre voix importante que nous n’entendons pas est celle des soignants. Quel est l’impact des directives concernant le coronavirus pour les soignants à domicile? Dans quelle mesure est-il possible de mettre ces directives en pratique? En tant que soignant d’une personne âgée atteinte de démence, comment expliquez-vous que vous devez vous isoler parce que vous combattez vous-même le coronavirus, malgré toutes vos précautions? Prendre la voiture pour se rendre à un centre de soins d’une autre ville pour dire bonjour à votre père ou à votre mère atteinte de démence à distance, est-ce un trajet “essentiel” ? Comment gérez-vous l’incertitude que cela peut être la dernière fois que vous l’avez vu, “dans la vraie vie”, c’est-à-dire derrière une fenêtre ? Ce sont des questions et des préoccupations réelles que nous entendons de la part des aidants proches. Il n’y a pas de réponses claires, certainement pas pour les officier de police qui doivent appliquer ces règles.
Enfin, et ce n’est certainement pas le moins important, il existe également des prestataires de soins et de services qui doivent continuer à travailler pour soutenir ces personnes âgées et ces aidants proches. Ils le font souvent dans une grande incertitude et sans équipement de protection suffisant pour se protéger et protéger les autres. Entre-temps, de nombreux cas sont connus de personnes âgées qui restent à la maison ou de personnes âgées dans des centres de soins résidentiels, où seuls les soignants viennent encore rendre visite et qui sont quand-même infectés par le virus. Ici aussi, nous entendons principalement des experts et des décideurs politiques dire comment procéder, “ que l’assistant de nettoyage peut nettoyer au rez-de-chaussée pendant que les gens sont à l’étage ”, mais nous n’entendons pas la voix de l’infirmière à domicile, du soignant dans le centre de soins, de l’assistant sanitaire dans les appartements de service ou le chauffeur de bus qui emmène les personnes âgées au supermarché pour acheter les vivres indispensables. On ne se rend pas compte à quel point ils sont passionnés de continuer à prendre soin des personnes âgées, mais aussi à quel point ils se font des soucis d’infecter leurs enfants ou les membres de leur famille en rentrant chez eux après une longue journée de travail. L’inquiétude suscitée par ces « héros » a (heureusement) commencé à se répercuter dans le débat public ces derniers jours.
Dans notre projet Diverse Elderly Care, financé par le Fonds européen de développement régional, ces dernières années, nous avons au sein des programmes « Soins infirmiers et travail social » discuté avec des groupes « invisibles » et « sans voix » de leurs expériences. Ceci nous a donné une idée des besoins de ces personnes. Ca nous fait voir les nuances et nous rappelle en tant qu ‘ «experts » les angles morts qui surgissent vus d’une certaine distance.
En ces temps, il faut évidemment se concentrer sur les chiffres quotidiens du nombre d’infections, d’hospitalisations, de décès, et il faut donner la priorité à la état de l’économie, etc. Les médias prêtent également, à juste titre, attention à la chaleur humaine, à la créativité et aux initiatives de personnes qui s’entraident et se soutiennent. Il est bon et réconfortant que cela soit décrit.
Mais nous pensons qu’il ne faut jamais oublier la voix des personnes impliquées. Surtout la voix des plus faibles de notre société qui sont trop facilement oubliés.